Une journée à Montejo de la Vega – Souvenirs de mars 2009

Une journée à Montejo de la Vega – Souvenirs de mars 2009

Une journée à Montejo de la Vega

Ce matin d’hiver une poignée de naturalistes s’est donné rendez-vous à Montejo de la Vega, dans les gorges du Riaza, au nord-est de Segovia. Venant de France pour quelques jours, il serait impensable de laisser passer l’occasion de voir l’un des lieux les plus emblématiques de l’ornithologie espagnole, surtout que nous sommes invités à observer de près un repas de vautours fauves. De plus nous sommes accompagnés par le Dr. Fidel José Fernández, connaisseur inégalable des espèces naturelles de la région. Il nous promet une journée inoubliable. Le temps pluvieux pourrait bien dissuader les rapaces de quitter leurs falaises mais d’après Fidel José les vautours sont tellement affamés qu’ils viendront manger même sous la pluie.

Loin de la capitale, nous découvrons avec surprise un petit village encore préservé des ravages de l’urbanisation intensive. Cette authenticité intouchée confère au site un charme inédit. Vivre dans un lieu aussi paisible doit être une véritable bénédiction pour les habitants de Montejo de la Vega. Nous avons bientôt la chance de rencontrer l’un d’eux. Hoticiano Hernando a œuvré toute sa vie en tant que garde du Refuge de Rapaces de Montejo pour en préserver le caractère sauvage. Maintenant retraité, il ne cache pas sa préoccupation. Dans la chaleur de son foyer, nous échangeons quelques mots avec lui et ses proches à propos de la terrible famine qui frappe les vautours depuis l’obligation par la communauté européenne de retirer systématiquement le bétail mort de la campagne. Heureusement il y a à Montejo un comedero où les vautours peuvent se nourrir. Les éleveurs de petites exploitations des environs y destinent les pertes de leurs troupeaux, tirant parti du rôle utile d’équarisseurs naturels imparti aux vautours depuis la nuit des temps. Jesús Hernando, fils d’Hoticiano et actuel garde WWF (ADENA) du Refuge, nous emmène de ferme en ferme pour emporter les animaux morts que nous porterons au point de nourrissage.

Le paysage est enchanteur, des pans de falaise émergent de la brume, éclairées par la douce lumière hivernale. Une chouette chevêche nous observe juchée sur un tas de pierres, la frêle silhouette d’un traquet rieur s’affaire en contrebas du chemin. Alors que la voiture s’approche du « comedero », les vautours viennent de toutes parts, reconnaissant de loin le véhicule du garde. Lorsque que la viande est déchargée de la remorque, un étrange ballet de sauts et de battements d’ailes se déroule sous nos yeux. La féerie durera près d’une heure jusqu’à ce que la charogne soit entièrement nettoyée. Après la curée, alors qu’un rayon de soleil perce les nuages, les dizaines de vautours rassemblés étendent leur immense voilage pour faire sécher leur plumage détrempé par la pluie. Oui, ce spectacle inoubliable restera à jamais gravé dans nos mémoires.

Ces quelques lignes souhaitent saluer le travail titanesque de recensement de la faune de la région, et tout spécialement des vautours, effectué par le Dr. Fidel José Fernández depuis 35 ans, aidé par un large réseau de naturalistes. Qui pratique un tant soit peu l’observation ornithologique peut imaginer en feuilletant la Hoja informativa les centaines d’heures de terrain qu’elle représente. Son extraordinaire minutie, sa précision, le respect des diverses sources d’information mentionnées avec soin sont la marque d’une scientificité rigoureuse et exemplaire. Ce document est bien plus qu’une simple compilation de données, il offre une vision synthétique de l’évolution des populations. Malheureusement les derniers résultats révèlent une baisse alarmante des effectifs de vautours depuis cinq ans.

La colonie de vautours fauves du Refuge de Montejo et de ses environs a longtemps été la plus importante d’Europe. Une telle concentration d’individus tient de l’inouï étant donné les dénivelés relativement modestes que présentent les Gorges du Riaza en comparaison avec d’autres habitats traditionnels de vautours fauves. Qu’il nous suffise d’évoquer à titre d’exemple les Gorges de la Jonte et du Tarn (Parc National des Cévennes) dont les dimensions toutes autres offrent aux rapaces de grandes marges de tranquillité malgré une certaine fréquentation humaine. On comprend alors qu’une présence de visiteurs parcourant l’ensemble des gorges du Riaza ne manquerait pas de perturber les rapaces et de rompre l’équilibre naturel si délicat qui donne à cet écrin de verdure sa valeur unique. Il est donc urgent d’agir au niveau local comme au niveau européen afin d’écarter une à une toutes les menaces qui pèsent sur les vautours, pour que ces rapaces encore trop méprisés puissent se nourrir et nidifier dignement. Nous espérons voir un rayon de soleil dissiper les nuages et rendre leur avenir à ces oiseaux merveilleux.

Émilie et Françoise Delepoulle

Hoces del Riaza – Photographie : Françoise Delepoulle

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