NON, LES VAUTOURS NE SONT PAS DES PRÉDATEURS ! ou « chronique d’une erreur judiciaire programmée de longtemps »

NON, LES VAUTOURS NE SONT PAS DES PRÉDATEURS ! ou « chronique d’une erreur judiciaire programmée de longtemps »

de Guy Joncour, Docteur Vétérinaire de campagne.

L’Europe méridionale abritait quatre espèces de vautours tout autour de la Méditerranée: le vautour fauve, le vautour moine, le vautour percnoptère et le gypaète barbu. De ces importantes populations, il ne subsiste que des reliques. La France et surtout l’Espagne jouent un rôle capital dans la conservation de ces oiseaux, persécutés jusqu’à l’anéantissement dans de nombreux pays, de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XXe.

En France où ces grands oiseaux ont failli disparaître, des actions de conservation pionnières ont permis tout d’abord de sauver les derniers survivants dans les années 70 – 80, puis de renforcer et de réintroduire les espèces disparues, gypaète barbu dans les Alpes, vautour fauve et vautour moine dans les Causses et le sud des Alpes. Ces projets pilotes initiés en France ont servi de modèles dans d’autres pays européens. Les protecteurs de la nature français peuvent s’enorgueillir d’être à la pointe du savoir-faire pour ces techniques de biologie de la conservation, dans certains cas avec le soutien actif des chasseurs.

Les vautours sont parmi les plus grands oiseaux approchant 3 mètres d’envergure. Ce sont des ailes volantes, explorant en planant, sans dépenser d’énergie, d’immenses surfaces à la recherche visuelle des cadavres de mammifères sauvages ou domestiques dont ils se nourrissent. Contrairement à une idée reçue, l’odorat ne joue aucun rôle dans cette prospection. C’est en observant le comportement d’autres oiseaux opportunistes, corvidés et milans, qu’ils découvrent un animal mort. Tel un réseau d’observateurs invisibles dans le ciel, s’observant mutuellement, ils accourent de toute part dès qu’un festin est signalé. 20 ou 30 vautours fauves font disparaître les chairs putréfiées d’une brebis ou d’un cervidé en moins d’une heure. Là où les quatre espèces de vautours sont présentes, les restes coriaces et les os sont éliminés. La place reste nette, sans plus de ressources pour les mouches (myiases cutanées) et TOUTES les bactéries, celle du charbon y compris. Le tube digestif des vautours élimine les germes et on peut dire qu’ils sont un « cul-de-sac épidémiologique ». Leur rôle est donc d’éliminer dans la nature les gros animaux morts, évitant ainsi la prolifération de germes pathogènes.

En Europe, depuis des siècles, les vautours sont des commensaux du pastoralisme, suivant les troupeaux transhumants et éliminant les cadavres. « Ubi pecora, ibi vultures », selon le vieil adage. Aucune raison que leur comportement « durable » ne change … !  Ce service rendu aux éleveurs était tellement reconnu qu’en Espagne existait près de chaque village un endroit baptisé « muladar » où l’on déposait les cadavres des animaux de trait et du bétail.

A la fin du XXe siècle et jusqu’à nos jours, plusieurs changements économiques majeurs sont venus perturber cet équilibre éleveur-vautours. D’abord la mécanisation de l’agriculture, les tracteurs contrairement aux animaux de trait n’étant pas recyclables par les vautours; puis la quasi disparition des grandes transhumances à pied ; enfin le remplacement de l’élevage extensif par un élevage industriel concentrationnaire, produisant des tonnes de déchets animaux transformés ensuite en farines ; couronnant le tout, la crise de l’ESB (les vaches, elles, ne sont pas folles) avec l’avènement d’une obligation stricte d’équarrissage industriel. C’est particulièrement en Espagne que cette révolution dans les pratiques d’élevage a provoqué d’abord une augmentation importante des populations de vautours fauves (20 000 couples) venant se nourrir aux portes des porcheries industrielles. Et dès les années 2003-2004, l’équarrissage généralisé, à la demande expresse de vétérinaires fonctionnaires zélés et « précautionneux » de l’Union Européenne (DG San-Co) privait les vautours de ressources et créait une famine totale dans ces grandes colonies de vautours du versant sud des Pyrénées situées en Aragon et en Navarre. On a pu voir alors au piémont des Pyrénées françaises des réunions de vautours affamés s’approchant des fermes pour se repaître d’animaux morts, ce qui était devenu totalement inhabituel.

On peut comprendre que des éleveurs se soient inquiétés, surtout en présence de vautours dévorant un veau mort né ou la mère en difficulté de vêlage. Très vite, la rumeur colportée par les médias a fait état d’attaques délibérées sur des animaux sains, affirmant que les vautours avaient changé de comportement et étaient devenus des prédateurs ! Aucune expertise sérieuse n’est venu confirmer cette attestation gratuite. Dans le pire des cas, des vautours affamés ont aggravé des situations où un animal en difficulté et sans assistance possible était déjà condamné. Aussitôt, à partir de quelques cas isolés, la polémique a fait du vautour fauve le bouc-émissaire à la fois des difficultés de l’élevage et des frustrations des opposants d’une politique de conservation de la biodiversité incluant pêle-mêle, l’ours, le loup, l’arrêt de la chasse du coq grand tétras et le Parc National des Pyrénées.

Vengeances , Rancœurs ? Lobbies ? Toujours est-il, des faux témoignages grossiers diffusés sur la toile continuent d’alimenter et d’aggraver cette polémique stérile. Certains ont pu donc dire que « les attaques de vautours sont de l’ours mal digéré » … Lors de son discours récent à Toulouse le 26 juillet dernier, Chantal Jouanno, Secrétaire d’Etat en charge de l’Ecologie, a demandé aux Services de l’Etat et au Groupe Technique Vétérinaire des Pyrénées-Atlantiques : « non seulement de suivre ces oiseaux, mais aussi d’expérimenter l’indemnisation des dégâts et des tirs d’effarouchement ». On sait ce que ceci signifie… Normal ! Le « vautour est le quatrième prédateur » de la Liste du Le livre blanc de la FNC sur les grands prédateurs, déjà édité en … 2008, dans le cadre de la Mission Grands Prédateurs de la FNC dont le Président est B. Place , Président de la Fédération Départementale des Chasseurs (FDC 64) et les membres, Présidents J.M. Delcasso, un confrère « mixte » (FDC 65), A. Gollin (FDC 26), B. Baudin (FDC 06), C. Lagalice (FDC 39), A. Esclope (FDC 66).

En réalité , dans les Pyrénées françaises où l’élevage est important , la petite population de vautours fauves (525 couples en 2007) est bien intégrée au pastoralisme. Tout le monde peut y observer des dizaines de vautours survolant les alpages où abondent brebis (621 000), vaches (157 000), chevaux (12 000), chèvres (14 000) pour 5 300 exploitations pastorales (1) sans aucun problème. Les vautours éliminent sans frais pour l’éleveur et la collectivité des milliers de cadavres, économisant ainsi une énorme quantité de CO2 généré par l’équarrissage(transport, incinération) d’ailleurs souvent impraticable dans des montagnes peu accessibles. Ces oiseaux, véritables alliés sanitaires, sont donc parfaitement intégrés dans une politique de développement durable.

En annonçant à Toulouse le 26 juillet 2010 des mesures discréditant l’utilité des vautours fauves, la Secrétaire d’Etat à l’écologie, Madame Chantal JOUANNO se situe à l’opposé d’une politique de gestion intelligente de la faune sauvage. Mais sans doute voulait-elle faire plaisir à une frange d’électeurs, éleveurs-chasseurs de subvention, et adversaires déclarés de toute forme d’acceptation de la nature  « sauvage ».

(1) chiffres pour l’année 2004, Courrier de l’environnement, INRA, N° 57, 07/2009

Guy Joncour, Docteur Vétérinaire de campagne – « UBI PECORA, IBI VULTURES »

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